Philip Roth : né en 1933 à Newark, NM Jersey. Etudes l’université de Bucknell, puis à l’université de Chicago. Professeur jusqu’en 1977. Treize livres, de Goodbye Colombus en 1959 à La leçon d’anatomie en 1983 (parution prochaine chez Gallimard, comme tous les autres titres de Philip Roth). Nombreux prix littéraires aux Etats-Unis. Et best-seller mondial pour Portnoy et son complexe en 1969. Vit aujourd’hui avec l’actrice Claire Bloom. La moitié de l’année dans le Connecticut. L’autre moitié à Londres. En 1978, a paru chez Gallimard Du côté de Portnoy, un recueil d’essais consacré ses lectures… et à ses lecteurs.
Jean-Pierre Salgas. — Vous vous souvenez de vos premières lectures ?
Philip Roth. — Pas très bien. Je sais seulement que je lisais beaucoup. Des livres que j’empruntais à la bibliothèque municipale. Il n’y avait pas plus de dix livres à la maison. Les premiers livres dont je me souvienne sont ces récits très américains, vous savez, qui mettent en scène un petit garçon qui veut devenir un grand joueur de base-ball ! Très vite aussi, il y a eu la« littérature » de guerre — j’avais 8 ans en 1941 — les articles des journaux et des magazines, toute cette rhétorique patriotique, les lettres des cousins qui étaient à l’armée… Je suivais le déroulement de la guerre en Europe et dans le Pacifique. C’était très exotique, très étrange… Cela dit, j’ai le sentiment d’avoir vraiment découvert la lecture vers 14-15 ans grâce à Thomas Wolfe. C’est le premier grand écrivain que j’ai lu comme tel.
J.-P. S. — Vous l’aviez découvert comment ?
Ph. R. — Par mon frère aîné qui était l’université. Aujourd’hui je ne pourrais pas le relire, mais à l’époque j’étais impressionné par ce génie romantique qui avait écrit sur le génie romantique que je voulais être ! Ses livres monumentaux, l’Ange exilé, le Temps et le fleuve, sont de véritables rhapsodies lyriques sur l’Amérique, sur sa taille. Il y a un énorme appétit pour les noms et les lieux : Indiana, Iowa, Ohio…je peux dire que Wolfe m’a fait découvrir l’Amérique. Il m’a offert un mythe alternatif si vous voulez, moins naïf que le mythe patriotique des années de guerre. Il n’est pas le seul : au même moment je lisais : Winnesburg Ohio de Sherwood Anderson et les nouvelles d’Hemingway.
J.-P. S. — Le lycée, l’université ont compté pour le lecteur que vous étiez ?
Ph. R. — Le lycée m’aurait plutôt détourné de la littérature… Je me souviens juste de Macbeth, parce que le professeur l’interprétait presque en classe. L’université, c’est différent : d’un côté je ne me rappelle aucune influence précise, d’un autre, je sais que c’est là que j’ai commencé à découvrir la littérature. La littérature, pas seulement les livres et les écrivains ! Je n’avais pas de goût, tout m’excitait, je crois. Et c’est là que j’ai décidé de devenir écrivain — avant je voulais être journaliste ou magistrat.
Pour moi le grand choc fut mon arrivée Chicago en 1953 : j’y ai été étudiant pendant un an, puis professeur ensuite, après mon retour du service militaire. J’arrivais d’une petite université ordinaire pleine d’étudiants stupides, j’étais un gentleman. A Chicago, j’ai appris que je n’avais pas besoin d’être un gentleman, qu’on pouvait combiner intellectualité et agressivité. Pour la première fois, je rencontrais des gens comme moi. Dans une atmosphère de liberté incroyable, intellectuelle, sexuelle, politique… A Chicago, les années 60 sont arrivées dans les années 50. C’est à ce moment-là que j’ai découvert Bellow, la Victime, surtout, qui datait de 1947.
J.-P. S. — Ce fut une révélation…
Ph. R. — Tout à fait. C’était un contemporain et il allait à rebours de tout ce que je connaissais. Il était antilyrique, critique, irrespectueux, juif… par dessus tout, c’était le doute qui me ravissait, le doute qui portait aussi sur sa condition juive. Le sentiment positif de l’incertitude sociale. J’étais d’autant plus fasciné que je ne connaissais pas les sources de la Victime, Dostoïevski, Kafka. Bellow si vous voulez, c’est le canal à partir duquel la littérature européenne coule en Amérique… Il avait fait un grand repas de littérature européenne, une grande digestion : ses livres, les premiers surtout, sont le produit de cette digestion Mais un « produit » qui a pour moi un parfum incomparable ! Je crois que l’image est bonne : il y a chez lui quelque chose de copieux, de vigoureux, d’intestinal. On sent le corps… Après, évidemment, je suis venu à Dostoïevski, Gogol, Kafka, et je me suis dit : c’est eux ! Voilà les miens ! J’ai compris que je n’avais rien à voir avec Hemingway et les autres. Vous savez, chez un auteur, on cherche ce qui nous ressemble. On lit voracement, comme un animal, pas comme un gourmet.
J.-P. S. — Que mangez-vous en ce moment ?
Ph. R. — Je viens de lire une nouvelle biographie de Kafka par Ernest Pawel. L’Insoutenable légèreté de l’être, pour la deuxième fois… une trilogie sur la guerre, d’un romancier anglais, pour essayer de comprendre quelque chose à l’Angleterre. Juste avant, les journaux de Thomas Mann… Mann est très présent dans La Leçon d’anatomie, qui est un livre sur la douleur : Zuckermann se compare à Hans Castorp. La Montagne magique est tout le temps là en contrepoint ironique. Je l’utilise pour me moquer de mon propre livre, ce que les critiques américains n’ont pas compris. Alors, pourquoi les journaux ? Parce que je suis fasciné par cet homme, un des plus grands intellectuels européens, prix Nobel, détruit par l’exil, tenant toutes les nuits la main de sa femme et tentant de négocier avec Hitler, angoissé d’avoir laissé à Munich son journal homosexuel… Voyez, les lectures sont en rapport avec ce que j’écris, les amis, les lieux où je vis. Je ne peux pas lire au hasard pour passer le temps. Quand Claire fait des mots croisés, je lui demande de quitter la pièce. Ce n’est pas assez obsessionnel, elle n’est pas assez folle.
J.-P. S. — De façon générale, vous lisez beaucoup de biographies et de journaux intimes ?
Ph. R. — Oui, d’écrivains surtout ! Vous savez, les écrivains sont fascinés par les documents concernant les écrivains. Quand deux écrivains se rencontrent, ils se demandent toujours : à quelle heure tu commences ? à quelle heure tu déjeunes Mais la vraie question, la question secrète, est : est-il aussi fou que moi ? Les écrivains sont comme les chiens : ils veulent renifler le cul des autres chiens ! Si un chien écrivait ses mémoires, les autres chiens se précipiteraient au drugstore pour les acheter. Par contre, ils n’iraient pas lire les mémoires d’un bouc. D’un chat peut-être, à la limite…
J.-P. S. — Une question « canine » : quand lisez-vous ? Comment la lecture se mélange-t-elle, ou non, avec l’écriture ?
Ph. R. — Tôt le matin, je nage. Ensuite, je vais à mon bureau de 10 heures et demie à 18 heures pour écrire. Là, je ne peux pas lire. C’est impossible. Je suis commet un employé : j’ai l’impression que si je me mets à lire, ça va rendre furieux le patron ! Alors lis la nuit, après le dîner, trois heures. Mais là, les choses ont beaucoup changé depuis que je n’enseigne plus. A l’époque, de 1961 à 1977, je faisais cours sur ce que je lisais ou voulais lire : je lisais donc beaucoup en prenant des notes. Ce qui fait que je ne pouvais pas boire au dîner, sous peine de voir le livre finir sur le plancher. Maintenant j’ai recommencé à boire au dîner : — c’est pour ça d’ailleurs que j’ai arrêté l’enseignement— Je lis moins, mais plus profondément. C’est vraiment le livre que j’écris qui systématise mes lectures.
J.-P. S. — Il y a donc une petite bibliothèque derrière chaque livre…
Ph. R. — Bien sûr. Vous savez, les livres qu’on lit sont comme un tremplin. On monte dessus, on se balance et on saute. Il arrive aussi qu’on se raccroche à eux au dernier moment. Ce jeu est très compliqué. Toutes les connexions sont possibles. Le Sein, par exemple, est une petite expérience de l’élève Roth dans le laboratoire du grand professeur Kafka. Professeur de désir en revanche, est directement inspiré d’un cours que je donnais à l’université de Pennsylvanie. Mes élèves l’appelaient « Roth’s course on desire and violence » ! C’était merveilleux de voir les filles se mettre en colère ou le rouge leur monter aux joues à la lecture des Désarrois de l’élève Törless, de la Pornographie, ou de Patriotisme, une nouvelle de Mishima. Ou de Chéri de Colette ; ils avaient déjà embrassé avant de baiser, mais n’avaient jamais réfléchi sur le baiser. L’idée centrale du livre sur les stades du désir est venue de là, de leur trouble.
D. H. Lawrence, non, Henry Miller, oui
J.-P. S. — A ce propos, dans la préface de la réédition de Professeur de désir, Kundera vous qualifie de grand historien de l’érotisme américain. L’un et l’autre pensez, me semble-t-il, que le sexe et sa libération sont une excellente chose, mais certainement pas le Bien et la voie de toute libération. Ce qui était peu ou prou le credo des tenants de la « religion du Foutrisme », comme vous les appeliez dans un essai de 1974. On pense à Miller ou Lawrence. Les avez-vous beaucoup lus ?
Ph. R. — Je n’ai jamais pu lire Lawrence : c’est un évêque de l’église du foutrisme. Mais Henry Miller, pas du tout ! Il est merveilleux. C’est un garnement dans l’église, un « foutriste » anticlérical ! Un clown dans le cirque du foutrisme On n’avait jamais vu ça en Amérique : n’oubliez pas qu’Hemingway est venu baiser à Paris et qu’il en a rapporté un grand livre sur l’impossibilité de baiser : Le Soleil se lève aussi ! Mailer aussi, a été très important pour moi, surtout ses livres des années 50. Lui c’est un foutriste sceptique : quelqu’un qui dit : voyons comment ça se passe. Qu’est-ce que c’est, baiser ? Que faisons-nous ?… Quant à Kundera, il change dans Risibles amours, il aimait son obsession. Maintenant, il a l’air obsédé par cette obsession. En Tchécoslovaquie, il était un homme libre. Ici, il est devenu responsable de sa position. Et puis la Tchécoslovaquie aussi est devenue une obsession concurrente. Il est bouleversé par l’exil. Dans le livre précédent, la plaie était à vif, on voyait le sang. Dans le dernier, on n’aperçoit plus que la cicatrice. Mais il imagine dans une sorte de fantaisie rationnelle ce qui aurait pu se passer s’il avait fait autre chose.
J.-P. S. — Derrière Portnoy, il n’y avait pas de lectures érotiques ?
Ph. R. — Non, pas de lectures particulières. C’était une explosion personnelle. Dans la ligne des grandes comédies de l’humiliation, Gogol, Kafka… On revient toujours à La Victime, au doute qui me fascinait dans La Victime… Mes héros sont toujours en état de transformation vive, de déplacement radical. C’est mon obsession, je n’en connais pas les raisons. C’est cela qui m’excite. Comme écrivain en tout cas. Car ma vie est plutôt calme, tranquille. Comme le disait Flaubert, je vis comme un bourgeois pour être violent et original dans mon œuvre.
J.-P. S. — Flaubert, c’est un frère ?
Ph. R. — Non un maitre ! Surtout le Flaubert de Madame Bovary. Pas tant à cause du style — je l’ai lu en anglais — qu’à cause du déplacement de son sens des valeurs. Elle est tour à tour folle, idiote… admirable. C’est ce mouvement qui me séduit.
J.-P. S. — Et Kafka ? Si j’en crois la presse américaine, vous écrivez sous une grande photo de Kafka…
Ph. R — Je vous arrête tout de suite ! J’ai refusé mille fois de me faire photographier. La mille et unième, j’ai fini par accepter. Les photographes sont venus et ont dit : « Prenons cette photo de Kafka, qui se trouve dans les toilettes et mettons-la ici » C’est comme ça que, depuis ce jour, je passe pour un idiot qui se prend pour l’héritier de Kafka. Mais, vous savez, j’ai aussi des photos de mon père, de ma mère, de Claire, de Tolstoï, d’un chat, d’un paysage de mer. Mais ils n’en ont pas voulu. Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’aimerais n’avoir jamais eu cette photo, n’avoir jamais lu Kafka, que Max Brod ait tout détruit… Cela dit, Kafka est très grand. Il nous a émancipés du sérieux. Et non le contraire, comme tout le monde le pense. Un peu comme Joyce, mais Joyce, lui, ne m’a jamais servi à rien.
J.-P. S. — Pourtant Portnoy a failli s’appeler Portrait de l’artiste.
Ph. R. — Oui, et il y a dans L’Ecrivain des ombres un chapitre intitulé Nathan Dedalus. Non, vous savez, j’ai lu Ulysse une seule fois dans ma vie, à grand peine et sans plaisir aucun. J’ai fait ma barmitzva aussi. Dans les deux cas je faisais mon devoir. Joyce me permettait de devenir un juif littéraire. Mais, vraiment, je n’ai jamais eu envie de recommencer.
J.-P. S. — Il y a d’autres auteurs que vous n’arrivez pas à lire ?
Ph. R. — Oh oui, Proust. J’ai lu trois fois Du côté de chez Swann. Et Le Temps retrouvé. Le reste, je n’y arrive pas. Ça m’endort ! Je connais donc la tête et les pieds, mais je ne sais rien du corps. Non, à vrai dire, en France, mon « Proust », c’est Céline ! Voilà un très grand écrivain. Même si son antisémitisme en fait un être abject, intolérable. Pour le lire, je dois suspendre ma conscience juive, mais je le fais, car l’antisémitisme n’est pas au cœur de ses livres, même D’un château l’autre — il a été puni. Céline aussi est un grand libérateur. Je me sens appelé par sa voix : un livre comme Portnoy par exemple est parlé autant qu’écrit. Et comme chez Céline, ce discours est imaginaire. Je n’ai pas reproduit un discours. Céline est très proche de mon sens de l’écriture comme performance. Ecrire, c’est jouer.
Céline très proche
J.-P. S. — En dehors de Céline, qui lisez-vous chez les Français ?
Ph. R. — J’admire énormément Mauriac, Colette et Genet. Mauriac parce qu’il est fasciné par la rage, l’envie, la haine. On n’est pas si loin de Céline, même si leurs univers sont très éloignés. Et puis les premières phrases de Thérèse Desqueyroux valent bien celles de La Métamorphose. Colette, pour un Américain, c’est l’acceptation du sexe. Colette est une bourgeoise païenne. En Amérique, on n’a plus depuis longtemps de paganisme bourgeois. C’est même ce qui a valu à Reagan d’être élu. Par des gens qui ne voulaient plus en entendre d’autres dire : « je désire ». Colette, elle, va plus loin. Elle dit : « Je prends ».
Quant à Genet, je l’aime parce qu’il me révèle un univers que je ne connais pas. Sans le glorifier, le mystifier, ni chercher à me convertir… Il me dit : il y a des homosexuels, il y a des voleurs. Je lui fais confiance pour me dire la vérité sur ce monde-là. Au fond, c’est que j’aime chez tous les quatre : ils ne moralisent pas, ne généralisent pas… ils témoignent personnellement sur leur monde. C’est d’ailleurs mon problème avec les Américains : ils n’acceptent pas que je donne un témoignage personnel. Ils m’en veulent, je suis suspect, ils se plaignent : « Roth ne parle que de lui ! » Mais c’est ça qui est bien ! Si vous voulez, j’ai, bien sûr, une position, des prix littéraires… mais j’ai l’impression de parler dans un étrange vide culturel. Ma liberté est totale, mas l’écho est nul.
J.-P. S. — Justement les Américains… et la bibliothèque dont nous parlions tout à l’heure. Si tous vos livres font référence à d’autres presque toujours européens, ceux-là même que vous avez découverts dans le sillage de Bellow, un seul, pourrait-on dire, exhibe sa bibliothèque : Le Grand Roman américain. Dans le prologue, Smitty, le narrateur, y passe en revue ses « prédécesseurs, ses frères » : Hawthorne, Twain, Melville. Leur relecture a joué un rôle dans l’élaboration du Grand Roman Américain ?
Ph. R. — Pas du tout. Ce livre est né de ma passion d’enfant pour le base-ball. J’en sais autant sur le base-ball que Melville sur les baleines. Anthony Burgess avait qualifié Portnoy de Moby Dick de la masturbation. J’allais écrire le Moby Dick comique du base-ball. Et puis il y avait ma perversité personnelle : Portnoy m’avait procuré un public énorme. Je voulais m’aliéner ce public J’étais très arrogant, je voulais leur dire d’aller se faire foutre. J’ai tellement bien réussi que ce sont eux qui m’ont dit : « va te faire foutre ! ». Le livre a été mal reçu. J’ai dû payer pour le succès de Portnoy. Parce qu’ils m’avaient trop payé ! Vous savez, Portnoy a été pour moi le début d’une explosion comique, le premier bâton de dynamite : on l’allume et on se met à courir. J’ai fait ça quatre fois, Portnoy, Tricard Dixon et ses copains, Le Sein, Le Grand Roman américain. C’était un acte maniaque. Je voulais faire une œuvre irresponsable. J’aimais bien également l’idée de quelqu’un entrant dans une librairie et demandant Le Grand Roman américain. « Quel est l’auteur ? — Philip Roth ». Ça ne devait pas plaire à grand monde
J.-P. S. — Pourquoi avoir choisi ces trois références pour le prologue, et non Thomas Wolfe par exemple ?
Ph. R. — Pour que ça marche, il fallait mélanger le base-ball et la littérature de façon comique. J’ai lu ces trois livres comme un clown, pas comme un critique littéraire. Un clown qui arriverait sur la piste avec les volumes et qui commencerait à les dévorer ou à se torcher le cul avec. Quoi qu’il fasse, c’est merveilleux. Pourquoi ces trois-là ? Parce qu’ils couvrent tout le spectre de la littérature américaine du XIXe. Moby Dick, c’est la colère, et la passion américaine de l’énumération des choses : il y a ça, et ça, et ça… La Lettre écarlate, c’est la sexualité coupable. En le relisant, j’ai réalisé à quel point, Esther Prynne était excitée sexuellement. On m’avait appris qu’elle était le symbole de ceci, le symbole de cela… Elle est le symbole du con. Elle est notre Bovary, notre Karénine. Simplement, au XIXe, tout se passe dans la calèche. On la regarde bouger. Au XXe, on a ouvert la porte, on les voit baiser. Dans La Lettre écarlate, on n’aperçoit même pas la calèche. On ne voit que la conscience. Quant à Huckleberry Finn, c’est le grand livre sur le fait de ne pas aller à l’école, sur l’art de perdre son temps…
J.-P. S. — Une dernière question : quels sont vos grands désirs de lecture… les livres que vous ne voudriez pas mourir sans avoir lu ?
Ph. R. — Je ne sais pas. J’ai essayé de lire à peu près toutes les grandes œuvres. Peut-être devrais-je reprendre Ulysse, mais, pour en trouver la force, il me faudrait devoir faire un cours dessus. Or, je suis trop vieux pour le devoir. Après ma mort en revanche, j’ai l’intention d’être un bon étudiant : je relirai Shakespeare… je lirai Proust, Milton, Pouchkine, Racine… Et la Bible dont j’ignore tout, en dehors des cinq premiers livres en hébreu, lus dans mon enfance. De toute façon, elle doit être obligatoire.
J.-P. S. — Aucun contemporain ? Votre ami Kundera par exemple ?
Ph. R. — Mais nous serons ensemble ! J’ai une réservation pour lui au paradis des juifs.