Vient de Paraître – 1999

V

Aragon, Bataille, Beucler, Bove, Drieu, Gilbert, Oster

 

VIENT DE PARAÎTRE n°1 (avril 1999)

Aragon : Chroniques 1918-1932 (Bernard Leulliot éd)
Aragon : Persécuté persécuteur (Olivier Barbarant éd)
Stock

Le premier volume d’une entreprise monumentale, élaborée à l’initiative de Jean Ristat : rééditer et éditer tout Aragon (à l’exception des romans -la Pléiade a commencé de les accueillir – et des grands livres de poèmes qui restent chez Gallimard). Rééditer : ici les poèmes les plus souvent brocardés, et méconnus (le recueil qui comprend Front rouge). Editer : l’immense oeuvre de circonstance de l’écrivain du Mentir vrai. De tous les fils noués dans ce véritable « journal extime » d’une création, que clot la rupture avec André Breton, on retiendra particulièrement les textes sur le cinéma qui, via le collage, le font dériver de la peinture – et le tableau mouvant de la littérature du temps (culte d’Apollinaire et de… Saint-John Perse, haine de Proust,… notes de Littérature et textes pour Jacques Doucet). Simultanément, Gallimard reprend en Quarto Henri Matisse roman (que Stock accompagne à son tour, de Sur Henri Matisse, des entretiens radiophoniques avec Jean Ristat)

 

Georges Bataille : L’apprenti sorcier (éd Marina Galetti)
La Différence
Les Temps modernes n° 602 : Georges Bataille, 304 p

« Nouveau mystique » selon Jean-Paul Sartre (Situations 1), Georges Bataille (1897-1962) fut on le sait maintenu au coeur de l’expérience littéraire par Michel Foucault, Denis Hollier, le groupe Tel Quel… ce qui aboutit en 1970 à l’entreprise des Oeuvres Complètes (12 volumes à l’arrivée). Ces dernieres années, passée dans le domaine public, Bataille fut peu à peu réenseveli sous l’hommage convenu ou l’imitation (la transgression devenue à son tour l’objet d’un inoffensif « nouveau mysticisme », je renvoie à ce qu’en dirent Olivier Cadiot et Pierre Alferi dans la Revue de Litterature Générale 1 en 1995). De ce point de vue, ces deux entreprises déplacent les enjeux : Claude Lanzmann désormais directeur des Temps modernes, aidé de Michel Deguy, rend hommage à l’ex-rival de Critique – non celui, rituel, de la vertu au vice, mais une tentative de cerner une nouvelle étape des rapports de deux pensées vivantes (avec Philippe Sollers, et Cadiot-Alféri). Au même moment, à l’opposé du Bataille en apesanteur de nombreux français, un recueil de documents datés, venu d’Italie, sur le Bataille politique d’avant-guerre (1932-1939 : du Cercle communiste de Boris Souvarine à Acéphale, via Contre-Attaque et le Collège de Sociologie).

 

André Beucler : La ville anonyme.
Gallimard, L’imaginaire, 218 p, 59 F

D’André Beucler (1898-1985), né mi-russe mi français à Saint-Persbourg, èlève d’Albert Thibaudet au lycée de Belfort, journaliste, scénariste et coréalisateur de cinéma à Berlin autour de 1933, à ce titre témoin de l’accession d’Hitler au pouvoir, collaborateur de Giraudoux puis résistant, vingt ans homme de radio après guerre, auteur de quarante-deux volumes… la mémoire collective ne semble avoir retenu que Gueule d’amour (de Jean Grémillon, avec Jean Gabin 1937). La réhabilitation des vaincus de l’histoire littéraire de ces dernières années a surtout touché des écrivains naturalistes (Guérin) ou minimalistes (Bove). Si leurs personnages sont célébrés, elle a hélas épargné des prosateurs comme Léon-Paul Fargue, Max Jacob, Jean Cocteau, Joseph Kessel, Jean Giraudoux… toute la seconde famille de la modernité pourrait-on dire (très influencée par le cinéma). Ce sont les amis d’André Beucler. On pense à eux, en lisant aujourd’hui La ville anonyme qui lui assurait en 1925, une célébrité instantanée. Mais surtout ce livre dont le chaos stylistique mime celui d’une révolution cosmopolite dans un Moscou-Berlin-Paris onirique donne le sentiment unique d’un roman constructiviste russe (Ehrenbourg, Pilniak, Zamiatine) écrit directement en français.

 

Emmanuel Bove : Romans (éd Jean-Luc Bitton)
Flammarion, Mille et une pages, 1016 p, 158 F

Vers la fin des années 70, alors que s’effaçaient les avant-gardes classiques (pour des raisons souterrainement politiques) et que de nouvelles façons d’inventer s’affirmaient lentement, a commencé l’ère des réhabilitations dans la littérature française (à l’initiative d’un « petit éditeur » Le Tout sur le Tout – relayée alors par Raphael Sorin critique au Monde). Des vaincus de l’histoire littéraire des années 30 et 50, réapparaissaient : Calet, Guérin, Gadenne, Vialatte, Hyvernaud… Parmi ceux-ci, Emmanuel Bove (1898-1945). Mes amis (1924, publié grâce à Colette) seul, avait été sauvé du néant par l’enthousiasme de Samuel Beckett, de Peter Handke qui le traduisit en Allemagne, de Raymond Cousse… Le volume d’aujourd’hui reprend neuf romans dont Mes amis. Dont aussi l’étonnant Bécon les Bruyères, paru initialement dans une collection (Portraits de la France) vouée aux lieux où souffle l’esprit. Des demi-Oeuvres complètes. Simultanément, Flammarion publie un inédit : Un caractère de femmes.

 

Jacques Chardonne- Jean Paulhan : Correspondance (éd Caroline Hoctan, préf François Sureau)
Stock, 268 p, 130 F

Dans Des inconnues, le dernier livre de Patrick Modiano, un personnage va défier « l’écrivain au noeud papillon » de Vivre à Madère, dédicaçant son ouvrage. Chardonne ou la collaboration de fond (« Je suis enthousiaste de Vichy, de Pétain  » : juillet 1940. « Je vomis les juifs, Benda, et les Anglais – et la Révolution Française  » : novembre 1940) – jamais reniée, aux antipodes du nihilisme d’un Céline, ou du fascisme suicidaire d’un Drieu. A l’heure où, passés les débats formels, la littérature française semble se diviser (de nouveau et autrement) entre Lazare (de Georges Perec à Patrick Modiano, une littérature de la « nuit blanche de l’humanité ») et Grognards et Hussards (analysés magistralement par Bernard Frank en 1952), cette correspondance (qui correspond rarement) entre ces deux tenants de la clarté française, le pétainiste charentais (L’été à La Maurie) et le résistant directeur de la NRF, qui signera la provocatrice Lettre aux directeurs de la Resistance (nés tous deux en 1884, morts tous deux en 1968), est à la fois un document passionnant, et sa publication un symptôme…

 

Jacques Derrida, Catherine Malabou La contre-allée
La Quinzaine littéraire – Louis Vuitton 300 p, 150 F

« Derrida est toujours en voyage, il est même sans nul doute le philosophe qui voyage le plus au monde » (Catherine Malabou). A vrai dire, le voyage est désormais un des traits de la condition sociale du philosophe (Heidegger, le dernier sédentaire ?) au même titre que, depuis Kant, l’enseignement… Le « voyage » est d’autre part constitutif de la pensée même du philosophe « marrane » de la déconstruction, de la différance, de la dissémination. Le livre (publié dans une collection, qui, en polémique contre « les écrivains voyageurs », insiste sur les voyages de l’écriture) tresse un « voyage » de Catherine Malabou dans l’oeuvre (dérive, arrivée, catastrophe) et la correspondance du philosophe (né en 1930 en Algérie, aujourd’hui très « américain ») de La carte postale à sa lectrice (un an de « voyages », mai 97 – mai 98, d’Istanbul à Laguna beach). A « l’arrivée » : un volume qui – à la Butor ou à la Derrida (souvenons-nous de Glas)… à la Montaigne aussi bien – déconstruit l’espace familier du Livre.

 

Pierre Drieu La Rochelle : Les chiens de paille
Gallimard, L’imaginaire

Un très mauvais livre… mais une réédition indispensable. Dans un village normand, sous l’oeil d’un narrateur, au propre et au figuré revenu de tout (Drieu), et hanté par la figure de Judas, autour d’un dépot d’armes, s’agitent dans une intrigue-pretexte, des combattants français, agents chacun d’une puissance étrangère (le gaulliste anglophile vaut le collabo germanophile qui vaut le communiste russophile…). Roman d’idées (à la Malraux, voir L’espoir ou Les noyers de l’Altenburg) et voyage dans le cerveau (et le système d’autojustification) du directeur de la Nouvelle Revue Française, qui sait en 1943 qu’approche la défaite. Et déjà par une étrange ruse de la littérature et de l’histoire, le soubassement argumentatif de l’iconoclaste Lettre aux directeurs de la Résistance (1952) du résistant Jean Paulhan, qui précéda Drieu et lui succédera à la direction de la NRF (lors de la reparution en 1953).

 

Dominique Gilbert : Le chemin de fer
Gallimard, Blanche, 230 p, 120 F

« Il le glissa dans la fente, le fit aller et venir à l’intérieur, doucement. Aucun effet. Il le retira et essaya de l’autre côté ». Première phrase : on l’aura compris : il s’agit du compostage d’un billet à la gare… Dans le train, le voyageur (il se rend en province pour chercher une voiture) se fait voyeur. Dans la seconde partie du roman, le voyeur achète des jumelles et voyage entre deux femmes. Le livre se termine sur les toits à observer l’une d’elle. Vertige tout court qui redouble celui de la phrase. On songe à Vladimir Nabokov, en France à Claude Simon ou André Pieyre de Mandiargues. A la rentrée 1998, cet étonnant premier roman – qui ne raconte rien, que les aventures du regard et les glissements progressifs du désir est passé à peu près inaperçu. D’être à contre-courant, même de ce qui reste de littérature à contre-courant…

 

James Knowlson Beckett (trad de l’anglais par Oristelle Bonis)
Solin – Actes-sud 1118 p, 199 F

La première biographie « autorisée » de l’auteur d’En attendant Godot (1906-1989) à être traduite en français… et une sorte de bombe à retardement préparée donc par l’interressé. A la différence du monde anglo-saxon, la France – ou il arrive en 1928, ou Jérome Lindon le publie à compter de 1950 – est, en effet, le pays ou Beckett semble être sans autre biographie que celle d’une oeuvre elle-même de plus en plus raréfiée, abstraite. Comme si le prix (le droit d’entrée) dans l’espace littéraire français (international) avait été la renonciation à l’Irlande, à la mort irlandaise de Dieu (le dépeuplement des textes ?), et l’ablation des complexités du rapport vie-oeuvre. Que l’on compare les livres, de Bande et sarabande à la trilogie (Molloy, Malone meurt, L’innommable), aux textes ultérieurs comme Godot justement… Que l’on compare la trajectoire de Beckett à celle inverse de Joyce… Revers de cette médaille, de ce passionnant changement de perspective : James Knowlson qui fut un proche de Beckett pendant vingt ans, n’évite pas les naivetés (vie-oeuvre justement) de la « biographie à l’américaine ».

 

Jean-Patrick Manchette : Cette nuit froide
Rivages, 218 p, 110 F

Dans son dernier texte, publié à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Série Noire, Noces d’or, Jean-Patrick Manchette mettait en scène le « code Stéphane » (Mallarmé), instrument de reconnaissance pour des révolutionnaires sur le retour. Il y a trois ans, Rivages publiait ses Chroniques sur le polar, entreprises grosso modo alors qu’il cessait d’en écrire : fasciné par les premiers polars, à l’aune desquels il juge les nouveaux, il remonte peu à peu à l’éventail de tous les possibles de la subversion littéraire après la Première Guerre Mondiale. Suite aujourd’hui de la publication de ses textes posthumes – en attendant le Journal : une pièce de théatre Cache ta joie !, deux projets de films (dont celui qui donne son titre au recueil), cinq nouvelles, un récit de science-fiction. Une nouvelle plongée dans l’atelier d’un « grand professionnel » de la littérature populaire qu’on découvrira de plus en plus comme un chantier de pensée.

 

Patrick Modiano : Des inconnues
Gallimard Blanche, 156 p, 95 F

Des inconnues et d’abord pour elles-même. Trois monologues de femmes à l’identité incertaine dans les années 60 (Algérie) et 70 (post mai 68). Entre Lyon et Trocadéro, dans la région d’Annecy (au pied du plateau des Glières), dans le Quinzième de Vaugirard et de la rue des Morillons. Composant le roman vrai de Dora Bruder -bouclant le cycle ouvert en 1968 par La place de l’étoile, le monologue d’un juif collaborateur – Modiano disait que, tel Balzac à l’état civil, le romancier contemporain devait se mesurer au Mémorial de Serge Klarsfeld. Est-ce un hasard si le premier récit bute sans cesse sur le « couvent des Lazaristes » de Lyon, et un enigmatique consul du « Pérou » ? Est-ce une coincidence si le second nous fait assister à l’exécution par la fille d’un résistant d’un lecteur de… Robert Brasillach ? Si le troisième se déroule entre abattoir et objets trouvés ? Patrick Modiano est plus que jamais un écrivain lazaréen au sens de Jean Cayrol (1950), son « autobiographie de tout le monde  » ne peut être lu hors ce que ce dernier nommait la « nuit blanche de l’humanité ».

 

Philippe Muray : Après l’histoire
Belles lettres, 280 p, 120 F

La « suite » – sous forme de chroniques mensuelles parues dans la Revue des Deux Mondes en 1998 – des deux volumes d’Exorcismes spirituels (1997 et 1998), dans laquelle l’auteur d’un décisif Céline (1981) et du XIXe siècle à travers les âges (1984) revient sur son obsession : une mutation s’est produite ces dernières années (plus encore qu’à l’époque de la Révolution, de la Grande Guerre ou de la Schoah…) sans que nous y prennions garde. « Homo festivus », emploi-jeune le jour, raver la nuit, pris dans l’auto-commémoration permanente obligatoire et joyeuse, est le nom de l’homme nouveau, d’après la mort et l’amour. »Pour espérer comprendre quelque chose à l’époque qui commence, il est maintenant indispensable de faire le pari que la métamorphose des hommes a déjà eu lieu« . Un essai-roman-journal (à la Swift) à lire en regard de L’année du tigre de Philippe Sollers (la même actualité sert de matière, le même athéisme littéraire est revendiqué comme point de vue, le résultat est infiniment différent…), mais qui doit aussi être rattaché au grand commentaire de Hegel par Alexandre Kojève en 1947 (la « fin de l’histoire » américaine, puis japonaise) et à ses avatars plus récents (Debord et le spectacle, Baudrillard et le simulacre, Lyotard et le post-moderne, etc…). « Après l’apocalypse, le bilan continue « 

 

Daniel Oster : Apocalypses
POL

Disparu prématurément le 15 avril 1999, Daniel Oster laisse une oeuvre (surtout sa seconde époque : les premiers livres dans les années soixante, ont été suivis par un silence de presque dix ans) très singulière, entièrement vouée, sous le patronage de Monsieur Valéry et de Stéphane (Mallarmé) à une interrogation auto-bio-graphique. A une exploration de l’intérieur de ce que Pierre Bourdieu nomme « l’illusion biographique ». Aux paradoxes de la figure de l’écrivain dans « l’interrègne » (Mallarmé) qui suit la mort de Dieu. Recueils d’essais et romans d’idées. Que viennent clore irrémédiablement ces Apocalypses Chaque soir au cours de 1997, le narrateur a noté une petite fable, une brève parabole d’allure kafkaienne sur les intervalles du moi (presque toutes commencent sur « Un homme qui »). « Petite apocalypse signifie, on le sait, petite révélation ». Chacune de ces fables sonne comme la dernière.

 

Francis Ponge Pléiade 1
Gallimard
Francis Ponge – Jean Tortel : Correspondance 1944-1981 (ed Bernard Beugnot, Bernard Veck)
Stock, 322 p, 130 F

1898 : mort de Mallarmé, 1899 : naissance de Ponge. D’ou centenaires, commémorations mélées… Incontestablement, comme très peu (Raymond Queneau, Michel Leiris), Ponge fut de ceux qui contre le réenchantement surréaliste (Aragon, Breton à la manière romantique), maintint ouvertes les questions posées par Mallarmé : « crise de vers  » et « démontage impie de la fiction » : quel lien retrouver entre poésie et prose, mots et choses, à l’ère de l’arbitraire du signe ? comment penser une politique littéraire à l’èpoque de la mort de Dieu ?. Avec des moyens inverses de ceux de Mallarmé : les « mots de la tribu » qu’il rapproche des choses, la  » disparition élocutoire  » atteinte par l’atelier du poème etc… On trouve les mêmes soucis chez Jean Tortel (1904-1993) avec d’autres moyens encore (hérités de Reverdy ?). Les deux poètes se sont connus dans la Résistance. Une Pléiade (un « tome premier », des Douze petits écrits au Grand Recueil) donc, une correspondance qui ne se bornent pas à être des monuments, mais qui sont au coeur des interrogations de la littérature la plus contemporaine.

 

Eyal Sivan, Rony Brauman : Eloge de la désobéissance
Le Pommier

Présenté au festival de Berlin le 12 fevrier 1999, sorti en France le 31 mars, le film Un spécialiste est un véritable ovni, qui déplace les antinomies ordinaires du cinéma et de la mémoire : l’adaptation (comme on le fait d’un roman) de l’essai philosophique d’Hannah Arendt Eichman à Jérusalem en treize tableaux, selon une grammaire revendiquée comme celle de la fiction, alors que le matériau est de l’ordre de l’archive (un corpus de 350 heures restantes, oubliées, sur les 550 qui avaient été filmé par Léon Horwitz) ; la contestation de la mémoire par l’histoire, et l’utilisation simultanée de cette dernière -la véritable mise en scène nationale de ce procès vise alors à refonder l’état d’Israel comme état des victimes – pour tenir un propos politique contemporain sur le « crime de bureau »… Réalisateurs : le cinéaste auteur d’Izkhor, « dissident israelien », et l’ancien président de Médecins sans frontières. Eloge de la désobeissance contient le scénario du film et un essai politique dans la lignée de La Boetie, d’Henry David Thoreau et bien évidemment d’Hannah Arendt…

 

Philippe Sollers : L’année du tigre
Seuil, 328 p, 125 F

Sous le masque d’un exercice de commande (une personnalité se raconte dans le Journal de la fin du siècle), un des livres majeurs de l’auteur de Paradis. A cause de l’année nommée « du Tigre » par passion chinoise : en 1998, se déploie l’affaire Clinton-Lewinsky comme une confirmation planétaire du diagnostic de Femmes (1983 – qui marque le passage à l’avant-scène de l’écrivain d’avant-garde) ; 1998 est sûrement une date-charnière dans le champ littéraire littéraire français (la nouveauté paradoxale, réactionnaire, des Particules élémentaires), voire dans le champ politique (une cohabitation inversée). A cause des libertés que permet et révèle le genre : « l’attention romanesque redoublée » revendiquée par Sollers (qui termine son Casanova et travaille à un roman Passion fixe, à Paris, Venise, l’ile de Ré) prend ici deux aspects – contradictoires – qui donnent au livre sa tension : l’écrivain autonome, heideggerien lecteur des classiques, note la météo du jour et quête l’historial (Vichy-Moscou) dans l’actualité, Coupe du Monde ou biographie de Duras ; le stratége hétéronome cohabite : il soutient Michel Houellebecq contre toute apparence esthétique (comme la corde le pendu ?) ou les pouvoirs du jour, poignarde ceux d’hier… Ennemi toujours désigné : Pierre Bourdieu, la sociologue du champ littéraire et des stratégies, pour laquelle ce livre constitue un stupéfiant document.

 

Alain Vaillant, Jean-Pierre Bertrand, Philippe Régnier : Histoire de la littérature française du XIXe siècle
Nathan Université, 640 p

Un manuel (pour les étudiants) qui est en même temps un livre (pour tous). Parce qu’il échappe à tous les défauts du genre : alignement de monographies de « grands écrivains », succession des générations, juxtaposition des genres, vie expliquant l’oeuvre ou oeuvre coupée de la vie, pensée de l’Histoire comme « contexte » etc… Pour la première fois (?), les travaux les plus novateurs des sciences humaines sur « l’évolution littéraire » (Pierre Bourdieu : Les régles de l’art, mais aussi Bénichou ou Genette) -l’idée d’un champ autonome (mais non indépendant) des lettres, la primauté de ce champ sur les stratégies individuelles (Zola versus Mallarmé), la complexe articulation vie-oeuvre…- sont intégrées à un ouvrage « scolaire ». On sait d’autre part ce que ces travaux doivent à ce qui se joue au XIXè justement, siècle de l' »interrègne » (Mallarmé) entre mort de Dieu et avènement d’une République des Lettres dans la République tout court. De l’avènement du Consulat à l’affaire Dreyfus, c’est aussi à la genèse dans la littérature, de cette possibilité de réflexion sur la littérature, que ce livre nous introduit.

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