Roland Barthes, tome premier

R
[Cet article est paru originellement dans art-press n° 184 d’octobre 1993.]

 

« On entre dans un mort comme dans un moulin », disait Sartre. D’où, incidents de parcours, bruissements biographiques, feuilletons obvies et héritages obtus, miroirs qui n’en reviennent pas, livres pieux et querelles de petits samouraïs, « retour amical de l’auteur » (mais sans œuvre), inamical (bio sans biographèmes). On peut aussi tenter de reconstituer le moulin, histoire de le revisiter. Ce que viennent de faire, mieux vaut tard que jamais, Le Seuil et Eric Marty : Roland Barthes, « RB », est là en crypto-Pléiade dans toutes les bonnes librairies. Un premier volume d’Œuvres Complètes, qui va de 1942 à 1965[1] : plus de mille cinq cents pages souvent quasi inédites, massées autour de deux blocs intacts : le Degré zéro de l’écriture (1953), formidable histoire formelle de la littérature d’après 1945 (et son prolongement, les Essais Critiques), le cœur évident du livre, et les Mythologies (1957), soit « extension politique de cette réflexion sur l’écriture » à l’écriture même du social, au « mythe », à la surface de la France dite profonde (à relire en regardant Balladur ou Tapie ou les obsèques de Bouygues, ou la télévision… à la télévision).

Gide et les classiques

Plaisir aux classiques, écrit-il en 1944. « Cette admirable langue des 17e et 18e siècles dont aucun écrivain moderne ne peut se dessouvenir. » Et en 1942, au même bulletin du sana où il séjourne, il donne des Notes sur André Gide et son Journal : « Tout Gide est dans André Walter et André Walter est encore dans le Journal de 1939. Il s’ensuit que Gide n’a pas d’âge : il est toujours jeune, il est toujours mûr, il est toujours sage, il est toujours fervent (…). Il ne faut pas se méprendre sur les travaux critiques de Gide ; c’est là qu’il enclôt le plus profond de lui-même ».

Voici deux textes « de jeunesse » fort convenus, mais où RB définit sûrement quelque chose de ce qui sera aussi sa manière – son fonds, sa séduction, sa francité aussi, sa « religion » littéraire, une part de son écriture – cette façon qui était la sienne d’écrire sur Alain Robbe-Grillet dans la langue de Choderlos de Laclos (omniprésent dans ce volume) ; son goût immodéré de la mise en abîme et à distance, du « petit traité » début de siècle. J’insiste sur ces articles car ils sont une mine pour tous les tenants du « projet originel » qui ne vont pas tarder ces jours-ci à nous (re)faire le coup du « Barthes est Barthes (comme « Racine est Racine », souvenez-vous). Pour l’en louer (« ah ce je ne sais quoi dans le presque rien ! »), ou l’en blâmer (« ce n’était donc que ça ». Ne jamais oublier que les arrière-gardes survivent aux avant-gardes). D’autant que le RB par RB de 1975 peut autoriser cette lecture « Gide est ma langue originelle, mon Ursuppe, ma soupe littéraire » ; « j’écris classique » ; etc.).

Origine pour origine, je voudrais, à l’opposé, indiquer une autre piste dans le matériau immense ordonné par Marty : Roland Barthes n’a eu de cesse de construire sa pensée du Nouveau contre le lieu commun -« Gide », « horizon indépassable » ou « soupe originelle » du temps, surmoi de l’époque ; il n’a eu de cesse de se déprendre de lui-même et ce d’une manière très singulière : avec et dans les autres, entre cheval de Troie et bernard-l’hermite. De Roland Barthes par Roland Barthes, il disait qu’il s’agissait d’un livre « récessif », qui résiste à ses idées. Je tiendrais volontiers ce tome premier pour celui des idées qui résistent la récession « gidienne ».

Roland Barthes par Roland Barthes, justement, page 80 : « Sa manière d’écrire s’est formée à un moment où l’écriture de l’essai tentait de se renouveler par la combinaison d’intentions politiques, de notions philosophiques et de véritables figures rhétoriques ». Là est l’intrigue (théorique) de ce volume. A l’instar du Degré zéro, ou du concept d’écriture, les plus beaux articles sont les plus noueux, complexes parfois jusqu’à la confusion parce qu’ils tressent ensemble des choses disparates. D’autant que RB travaille comme il pense, répétant, reprenant, tuilant, combinant et recombinant (« couper-coller » avant l’heure), toujours au-delà des aléas des commandes et d’une carrière atypique (strictement à l’envers de la pente contemporaine : du journalisme à l’université, de Combat au Collège de France). Comme celui de Michelet, son « discours est un vaste système de transformations », en « tableau » (histoire-structure) et en spirale, « bathmologique ». Affaire de places. « La causalité disparaît au profit de l’identité », Robbe-Grillet procède de Cayrol comme « Jeanne d’Arc du paysan Jacques ».

Michelet, Camus, Cayrol

Il y a là le trio involontaire qui éloigne Barthes de « Gide et les classiques » dans les années 1945-1950. Un triangle, un trépied. Comme les enseignes défectueuses, dont il fit en 1954 l’emblème de la « littérature objective » selon Robbe-Grillet, trois « bons objets » pour RB. Michelet-la Révolution et Cayrol-les camps (comme on disait alors, sans juifs, ni génocide) dos à dos, Cayrol-Lazare et Camus-Sisyphe face-à-face. Les trois se tiennent deux par deux.

Michelet, le père choisi, la « soupe » élue : pendant la guerre, dans l’inaction du sana, Barthes le met en fiches. C’est dans ce Michelet qui ne le quittera jamais (du livre de 1954 à la Leçon inaugurale ; il ne sera remplacé que par Proust, à l’extrême fin) qu’il puise visiblement toute une nébuleuse conceptuelle-obsessionnelle qu’on retrouvera diversement modulée dans tous ses textes, avec ses deux pôles : le Corps, l’Histoire (qui se partagent à égalité le premier texte, magnifique, sur Michelet l’histoire et la mort, 1951). Michelet est à la fois son Marx (et, derrière, son Febvre et les Annales auxquelles il collaborera) et son Freud (via le filtre Bachelard-Mauron, avant le passage à Lacan). Voire son Hegel et son Auschwitz (la fin de l’Histoire) : « Le fondement de l’Histoire est donc en dernière instance, la mort charnelle de millions d’hommes. L’historien, le magistrat funèbre, doit s’approcher au plus près de cette mort. Il doit vivre la Mort, c’est-à-dire qu’il doit l’aimer » ; dans le Degré Zéro, c’est la Révolution française qui figure l’événement absolu, alors qu’on attendrait « les camps ». Transition vers Cayrol.

Auparavant, Camus, le contemporain exact, l’alter ego providentiel. L’Etranger paraît en 1943 : enthousiasme immédiat, reconnaissance. « Le style de l’Etranger est un exemple remarquable des bizarres incidences du fond sur la forme (…) un style étrange où les moyens classiques sont employés avec une réticence perpétuelle. Le résultat en est que ce livre n’a pas de style et qu’il est pourtant bien écrit (…). Peut-être bien qu’avec l’Etranger (…) se lève un nouveau style, style du silence et silence du style, où la voix de l’artiste (…) est une voix blanche, la seule en accord avec notre détresse irrémédiable ». Ces paradoxes de 1944 (classicisme renversé, style aboli, soleil blanc) contiennent, dix ans avant, tout le Degré zéro : la première approximation, entre Corps et Histoire, de l’écriture qui sera l’alpha et l’oméga de RB ; l’écriture, engagement d’un style (un corps) dans une langue et dans une littérature (une histoire), leur intersection. On le sait, la Peste amènera la brouille entre les deux hommes, l’étude ultérieure sur l’Etranger ne sera pas exempte d’ironie. Camus sera abandonné mais sa place sera occupée par Cayrol, puis par Robbe-Grillet, puis par Sollers (de façon moindre par Guyotat, Sarduy, Camus Renaud, ou quelques autres ; toujours Barthes cherchera « l’écrivain » selon son cœur).

Jean Cayrol enfin, est le troisième homme que Barthes a peu à peu gommé (sous Robbe-Grillet). Il ressemble à la fois à Michelet et à Camus, conjonction improbable de leur envers : Cayrol est un romancier moderne, issu d’une expérience maximale de l’Histoire (l’Histoire que RB, malade, a manquée justement). Il y a un Cayrol-Camus : « un prolongement à la littérature de l’absurde « , dit RB de Lazare parmi nous (1950), le grand livre de Cayrol sur la littérature après Auschwitz. Il y a un Cayrol-Michelet, théologien retourné, comme l’est sa fin de l’Histoire, apocalypse (la Déportation) contre apothéose (la Révolution). Le roman et l’objet, l’écriture blanche, au service d’une résurrection de l’Histoire et du Corps.  » La création du destin et la création du roman sont le seul et même mouvement d’un homme qui veut tendrement placer sa propre durée le long du Temps général d’autrui ».

Sartre et « l’écriture »

Le Corps, l’Histoire… et l’écriture qui fait la navette : toute l’œuvre de RB peut se décrire comme les métamorphoses de ce seul signifiant majeur. Son extension (du Système de la mode à l’Empire des signes : le monde est une écriture à déchiffrer) ; et sa variation, de marque de l’Histoire dans la fausse « nature » des textes et des corps (Mythologies), à indice du Corps singulier trouant l’Histoire (le Plaisir du texte). Peu à peu, l’écriture s’identifiera au « style » auquel primitivement elle s’opposait, comme elle s’opposait à la langue. Leçon (1977) : « Je puis donc dire indifféremment : littérature, écriture ou texte ».

« Nous en saurons donc davantage et sur la littérature et sur la gauche, le jour où nous expliquerons pourquoi un écrivain peut être de gauche autrement qu’en le disant » (lancement par RB d’une enquête dans l’Observateur où Maurice Nadeau s’occupe des pages littéraires, en 1952). Problème de citoyen autant que de théoricien. C’est très exactement ce me que l’invention du concept d’écriture a pour rôle de résoudre. Pour nous limiter à la théorie, l’écriture selon RB pense l’impensé de Sartre, résout la contradiction interne du philosophe qui, après Gide, domine le champ littéraire[2]. Sartre, sol et « horizon indépassable ». En effet, c’est lui qui fait décoller RB de « Gide », après que le trio l’en a éloigné. Barthes = Sartre sur Michelet-Camus-Cayrol, telle est, pourrait-on risquer, la formule de ce tome premier[3].

Sartre a regroupé dans Situations I (1947) ses critiques littéraires du temps de guerre, puis, peu après, dans Situations Il (1948) son credo de directeur des Temps Modernes (Qu’est-ce que la littérature ?). Les deux semblent s’exclurent ; à tout le moins, ils installent le philosophe dans « une position littéraire ambiguë »[4] : quand Situations l inaugure une pensée formelle de la littérature (autour du célèbre axiome : « une technique romanesque renvoie toujours à la métaphysique du romancier »), Situations Il prône « l’engagement » d’une littérature dégagée de toute pesanteur formelle. Pour anticiper sur la célèbre distinction faite par RB en 1960, on pourrait dire que Sartre I parle des « écrivains » (le style), quand Sartre II s’adresse aux « écrivants » (la langue).

Entre langue (Histoire et histoire accumulée de la littérature) et style (le corps singulier de l’auteur), et qui sont les terrains habituels de la critique, Sartre compris, Roland Barthes, en examinant les choix de Queneau ou de Céline comme de Camus ou de Cayrol, de Prévert comme de Blanchot ou de Garaudy, glisse donc l’écriture. Sartre II le dominant (et dans le champ intellectuel, et dans le micro-champ nommé Sartre) est réinterprété dans les termes de Sartre I le dominé ; RB pense dans Sartre contre Sartre et le déplace. Non seulement la technique d’un romancier c’est sa métaphysique, mais elle pourrait bien être sa politique : la « responsabilité de la grammaire » (titre d’un article de 1947) permet d’échapper aux apories de l’engagement. Conséquence : les Mythologies, dans l’Observateur ou les Lettres nouvelles, inventent une façon neuve de faire de la politique et du journalisme, depuis une posture d’écrivain, de « grammairien responsable », proche de ce que Foucault nommera « intellectuel spécifique », aux antipodes d’un engagement dans le commentaire hasardeux du monde, d’une compétence et d’une gloire acquise par l’ontologie ou le roman. Le « mythe » n’est après tout que l’écriture de ceux qui n’écrivent pas, les formes par quoi ils disent (en Nature) l’accrochage de leur corps à l’Histoire.

Lévi-Strauss, la tour Eiffel et Brecht

Avec le recul des Œuvres complètes, l’écriture apparaît comme une vraie découverte de RB, dont la portée excède le dépassement de l’aporie sartrienne, comme elle excède son immédiate utilité dans les débats d’alors (conférer la dimension de la « forme » à la sociologie externe d’un Goldman, et celle du « texte » à la psychanalyse floue d’un Bachelard). Située sur la crête de toutes les alternatives qui structurent le champ de la critique, même « nouvelle », qui se développe dans ces années (forme-thème, sujet-texte, monographie-milieu), elle est un instrument qui permet de les relever. Il y a dans ce concept, qui n’est réductible ni à l’Histoire ni au Corps, ni au texte (critique interne), ni au social (critique externe), mais qui est leur « passage » , quelque chose comme une quadrature du cercle – analogue à celle que pourront réaliser, dans leur ordre, le signifiant lacanien ou la différance derridienne…ou le champ bourdieusien : l’écriture est très précisément le nom que RB donne à tout ce qui, dans une œuvre, relève d’une inscription dans un champ littéraire, lui-même inscrit dans le champ plus vaste du pouvoir.

Regret : malgré sa permanente invocation d’une « sociologie » à venir, RB n’exploitera pas vraiment son invention et parcourra, de Sur Racine à S/Z, les variantes d’une nouvelle critique strictement interne. Avec le concept de « division » des langues, il se limite à projeter au dehors la division des langues et des styles brassée par l’écriture. L’Histoire selon Michelet et Sartre, pour ne pas dire selon Rousseau et Hegel, pèse au total très lourd sur la généalogie de la modernité (une utopie déchirée : Voltaire dernier des écrivains heureux) qui sous-tend le Degré zéro. Plus lourd que la synchrone d’un champ. Reste que s’inaugure avec cette écriture un vrai « formalisme du contenu », qui va être la voie royale de la structure, qui occupera le tome second.

Déprise de « Gide », prise dans Sartre qu’il déplace, avant sa propre reprise en « Barthes » (lui aussi deviendra, vers 1975, l’incarnation de « l’écrivain français » ; comme on allait regarder Gide manger une poire et lire Bossuet au Lutetia, voir écrire Sartre aux Deux-Magots, on ira le surprendre lisant le Monde au Flore, la pensée de RB n’a en tout cas rien à voir avec un motif sartrien fondamental celui de la « situation ». Sartrien oui (au sens des Situations), « existentialiste » jamais, jamais immergé dans l’Histoire. « Structuraliste » peut-être, pas davantage.

L’« utopie du langage » est le dernier mot du Degré zéro. Comme un lapsus. Le Corps, l’Histoire, l’Ecriture selon RB, machines de guerre et de pensée contre la Nature et tous les consensus de la doxa petite-bourgeoise, semblent toujours tendre chacun de leur côté à un état qui les ferait s’échapper d’eux-mêmes : vers leur propre Utopie. Comme s’il y avait là sa contradiction interne à lui (analogue celle de Sartre). Comme si l’utopie (l’atopie même, voir RB par RB ) avait été sa Béatrice. L’utopie, illusion spécifique de l’intellectuel anti-illusions ? L’écriture-utopie, ce sera l’affaire du tome trois, des explorations de Sade Fourier Loyola à celles de Philippe Sollers, utopie de l’écrivain vivant « qui nous maintient vivants », via l’utopie du Texte, plaisir et jouissance. A la même époque, RB célébrera pêle-mêle l’utopie de l’amitié et celle du séminaire, et le Collège de France comme lieu « sans pouvoir » d’où analyser « le fascisme de la langue ».

On peut en tout cas, dans ce tome premier, suivre un trajet de l’utopie qui doublerait (ourlerait) la piste centrale que j’ai privilégiée. Gide et les classiques au tout début. Et à la fin, l’analyse des premiers travaux sur la mode, les premières synthèses sémiologiques et l’accueil passionné fait à Lévi-Strauss (la Pensée sauvage), qui voit RB opérer pour son compte le tournant de l’Histoire à la Structure, montreraient probablement celle-ci (la structure) comme l’utopie (micheletienne, de l’ordre du « tableau ») de celle-là (l’Histoire), plutôt que son contraire. De ce trajet, on peut aussi voir la marque (la dérision ?) dans un incroyable exercice rhétorique de 1964 sur la tour Eiffel, dans lequel RB met en scène, à propos de cette utopie d’acier, tous les théorèmes (pourrait-on dire) possibles. Mise en abime en plein ciel du hors-lieu absolu : « Regard, objet, symbole, la Tour est tout ce que l’homme met en elle, et ce tout est infini. Spectacle regardé et regardant, édifice inutile et irremplaçable, monde familier et symbole héroïque, témoin d’un siècle et monument toujours neuf, objet inimitable et sans cesse reproduit, elle est le signe pur, ouvert à tous les temps, à toutes les images et à tous les sens, la métaphore sans frein ».

« Au carrefour de l’œuvre, peut-être le théâtre » (RB par RB). Le théâtre pour ne pas conclure. Il occupe une place considérable dans ce volume, il disparaîtra dans les suivants (« J’ai toujours beaucoup aimé le théâtre et pourtant je n’y vais presque plus », 1965). Autre Ursuppe, plus vieille que Gide encore, réactivée par la participation de RB au groupe de théâtre antique de la Sorbonne en 1936, puis par Vilar, Avignon, le TNP. L’utopie absolue en actes : l’Histoire en direct et en modèle réduit, incarnée dans des Corps singuliers vivants, écriture partagée, mythologie vivante, je suis dedans et dehors, spectateur divisé et intellectuel réconcilié, distanciation. Alors que Vilar déçoit, Brecht apparaît comme une divine surprise. Articles militants et superbes de RB sur Brecht .Utopie dans l’utopie, mieux que Michelet et Sartre réunis. « Brecht lui est sorti de l’impasse : il a accompli une synthèse authentique entre la rigueur du dessein politique (au sens le plus élevé du terme) et la liberté totale de la dramaturgie » (1954). L’écriture

Imaginez que ce volume soit sorti des presses avant 1989 : du temps du communisme décomposé. L’utopie brechtienne aurait sûrement eu des allures de vieux moulin pour Don Quichotte fatigué. Par une sorte de ruse de l’histoire, dans le monde d’après la guerre du Golfe, dans la France d’après le big-bang de Pierre Bérégovoy, et dans un champ intellectuel sous Restauration galopante, ces articles datés, intempestifs, sur l’exploration de l’Histoire (par le théâtre, la littérature) sont les plus « en situation » qui soient (comme Michelet l’était pour RB en 1946).

Notes

[1] Les deux autres tomes couvriront les périodes 1966-1973 et 1974-1980. Il ne s’agira, à deux exceptions près, que des textes publiés. Dans ce volume, beaucoup de textes de premier plan quasi inconnus : la suite Cayrol, comme l’ensemble théâtral (une belle démolition dc Gérard Philipe) mais aussi Visages et figures ou Les Folies Bergère, etc. Conseil : à tous les organisateurs ces jours-ci de « tables rondes » sur Barthes, lire pour commencer le texte de 1959 intitulé Tables rondes.

[2] L’affaire Nekrassov exceptée (1 955), Sartre est ici peu présent en personne ; il en est néanmoins le sous-texte constant, jusqu’au pastiche (voir par exemple New York, Buffet et la hauteur, 1959) : tous les essais de RB sont pris dans l’alliage philosophico-littéraire inventé par Sartre dans ses essais de Situations. Là est son « écriture », son choix. « A la Sartre », RB part chez un écrivain, de l’usage des pronoms personnels et de la conjugaison pour conclure à une vision du monde.

[3] Seule réserve d’importance sur le travail d’Eric Marty : il eût probablement fallu dans ce livre démuni de tout appareil critique, des notices succinctes sur les lieux de publications des textes : qui, parmi les jeunes lecteurs, peut aujourd’hui se repérer dans les revues des années cinquante ? On aurait vu d’autre part que la position institutionnelle de RB (en opposition à la Nrf de Paulhan, en marge des Temps modernes, mais aussi du marginal-radical Critique, sa présence aux Lettres nouvelles et à l’Esprit d’alors…) coïncidait assez bien avec ses stratégies conceptuelles.

[4] Lire « Littérature et métalangage » (1959) in Essais critiques.

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