L’œuvre de Gombrowicz est unique au XXe siècle : il n’y a pas une seule description du coït.
Ceslaw Milosz[1]
Dans l’escalier de service
« Au crépuscule, quand s’allument les premiers réverbères, j’aimais sortir en ville et accoster des bonnes à tout faire. » Ainsi commence Dans l’escalier de service, une nouvelle de 1929, non publiée alors par crainte des réactions de la famille à un texte un peu trop autofictif… Je pourrais citer aussi ce dialogue de Virginité : au soupirant qui « demande la main » de son aimée, celle-ci le supplie de « ne jamais essayer d’obtenir un de ses membres ». Les Mémoires du temps de l’immaturité, tous les textes, peuvent se lire comme le laboratoire de ce que nous avons défini à propos de Ferdydurke, reprenant les catégories de Bakhtine, comme la ménippée de Gombrowicz, du texte mais aussi du corps (d’ Yvonne la mollichonne qui est, elle aussi, « bonne à tout faire », d’ Yvonne et son dialogue des prothèses, Ferdydurke et à son culcul arborescent). Bas corporel, bas social, chair basse en tant que telle, incarnation difficile, carnation exubérante : d’Hippo par exemple il est dit dans La Pornographie : « son corps odieusement florissant ressemblait à un volcan de viande jaillissante[2] ». Et surtout, je l’ai dit, corps morcelé aux parties qui menacent toujours de redevenir autonomes et plus importantes que le tout. Toujours le même paradoxe : le corps de Gombrowicz est celui de Montaigne et Rabelais : un corps d’avant Descartes (union de l’âme et du corps sur fond de séparation bien réglée)… ou d’après Freud (l’enfant à la sexualité polymorphe des Trois essais)[3].
Après-guerre, la souillon et Tintin, l’immaturité ont beau s’inverser en Jeunesse, Yvonne a beau se convertir in fine en Albertinette…, la mollichonne en nudité triomphante, il y a une continuité sans faille (des constantes) de Ferdydurke (réveil chaotique, duel de grimaces, mollets, mollets, mollets, pieds nus…) aux bouches de Cosmos, prises dans le réseau d’un corps du monde tout entier en dislocation. Via les deux romans argentins. Le Journal, quant à lui, n’en finit pas de s’arrêter sur des gros plans de mains à la Eisenstein, à la Fellini, à la Lynch[4]… Reformulant après Le mariage ce que je disais dès le départ : c’est de chaque corps qu’on peut suggérer qu’il constitue pour lui-même une sorte d’église intrahumaine… Pas plus que le corps national et social (Trans-Atlantique), le corps individuel n’est sûr de sa forme… Dieu est mort, comment « faire corps », telle est la question (en attendant l’ontologie de Cosmos qui l’élargira à l’infini).
C’est sur ce fond qu’il faut examiner la question de l’amour (Gombrowicz n’en parle que pour le rejeter), ou de l’érotisme (il en parle sans cesse : « la métaphysique appelle la chair. Je ne crois pas en une philosophie non érotique »), ou encore de la « pornographie » puisque tel est le titre du roman de 1958. Ce roman « a ses origines dans Ferdydurke », dit Gombrowicz, il déploie « un cas particulièrement grinçant du monde ferdydurkien » ; il constitue l’autre versant (intime) de la filistrie de Trans-Atlantique, sa réplique exacte — les deux romans sont tête-bêche dans l’œuvre, s’y entrelacent : éros et polis. Mais désormais, loin d’être soumis aux forces de la société (Pimko, Zuta, Tintin), le narrateur et son double vont, comme dans Trans-Atlantique, les plier à leur désir, au-delà de toute fraternisation ; l’enfer a fait place à des tentatives de paradis ; c’est qu’avec La Pornographie la catastrophe originelle dépasse en importance non seulement l’irruption de Pimko mais aussi le départ d’Europe ou la guerre, c’est la chute de Dieu lui-même, de l’église. Dans la préface du roman, on trouve ces considérations mi-pascaliennes, mi-nietzschéennes : « Une des scènes les plus explicites c’est celle de l’église, où la cérémonie de la messe s’effondre sous l’effet de la conscience tendue de Frédéric et où avec elle s’effondre Dieu-l’absolu, tandis que, des ténèbres et du vide cosmique, sort une nouvelle idole terrestre, sensuelle, faite de deux êtres mineurs mais qui forment un cercle fermé — car ils subissent une mutuelle attraction. » Qui va être mis en mouvement par « deux messieurs d’un certain âge tiraillés vers le bas… vers la chair, les sens, la jeunesse[5]… » : le couple Witold-Frédéric répète le couple Witold-Gonzalo dans la Pologne en guerre, et les chassés-croisés du désir vont advenir sur le corps de la patrie meurtrie, comme ils l’ont fait sur celle de la filistrie imaginaire. De l’église ruinée émergent les nuques de Karol et Hénia sous le regard de Frédéric adopté par Witold. Jeux de bascule permanents entre Dieu et Jeunesse… comment reconstituer un corps intime et polonais [6] ?
Homosexualité ?
Rien de plus trompeur donc que ce titre de « pornographie » — pour ne rien dire de l’ironie d’un tel titre sur la couverture d’un « roman de province » polonais[7]…Parce que c’est le corps même qui doit être constitué, le problème de l’érotisme gombrowiczien n’est jamais le sexe, même si dès les Mémoires il est omniprésent… L’« érotisme » est une des questions d’un écrivain qui est tout sauf « érotique ». Et cette question n’est jamais autonome, elle est toujours théologique et politique, on retrouve ce qui fait de cette littérature une littérature mineure : les « lignes du désir » traversent tous les domaines de la vie et sont traversées par eux. De même, contrairement à ce qui fut imprimé ici ou là, Gombrowicz est tout sauf un auteur « homosexuel », gay, parce que le corps de Rabelais ou de Freud est comme en deçà de la partition entre hétérosexualité, bisexualité et homosexualité, parce que l’« homosexualité » gombrowiczienne est une façon d’échapper au sexe : « ici au Retiro, je contemplais pour m’exprimer ainsi, la Jeunesse en soi — délivrée du sexe » — et des gueules « virilité » et « féminité ». « Il me fallait trouver — en dehors de l’Homme et de la Femme — une troisième position, qui n’aurait pourtant aucun rapport avec le « troisième sexe » une attitude extrasensuelle et pourtant humaine où m’appuyer pour apporter un peu d’air frais dans ces régions infectées par le sexe[8]. » Surtout parce qu’à vrai dire, l’« homosexualité » (comme nature, identité, communauté…) n’existe pas… et qu’il y a des homosexualités comme il y a des hétérosexualités… et que rien n’est moins sar que leur partage… Dans La volonté de savoir, Michel Foucault note que l’homosexualité est d’invention récente (comme d’ailleurs la sexualité) — vers 1870. Gombrowicz, selon un paradoxe que je ne cesse de décliner, est d’avant et d’après : pour lui, et pour reprendre les catégories de Foucault, le corps est affaire de plaisir (ars erotica), non de vérité (scientia sexualis)… Gombrowicz ou l’anti-Bataille… nul nouage chez lui du « sexe » la mort et au sacré…
En 1972, dans une recension d’un des tomes du Journal, Pasolini, militant de l’homosexualité, somme Gombrowicz, au nom d’une norme « homo », d’avouer de façon posthume sa pédérastie, et l’accuse d’être trop citoyen de la République des Lettres pour être honnête[9]… Méprise complète… Dans le grand Kama-sutra des postures littéraires, Witold n’est ni Marcel Proust (Sodome et Gomorrhe et sa théorie des « hommes-femmes », la fascination pour le même « genre ») ni Jean Genet (hétérosexuel inversé)[10] dont les Pompes funèbres le fascineront, ni Pier Paolo Pasolini justement, ni Vladimir Nabokov, ni Renaud Camus (tous « modernes » quant à l’identité sexuelle), même s’il traverse toutes ces gueules sexuelles. On sait le Retiro et Tandil[11].On sait la vie commune ensuite avec Alejandro Russovitch. Le Journal fourmille de portraits de jeunes filles, « les blondes », etc. On sait enfin la rencontre et le mariage « paternel » avec Rita. Reste que sa propre posture est très complexe reconstituer : entre André Gide (Corydon), Pierre Klossovski (Actéon est le premier titre de La Pornographie), Thomas Mann et Simone de Beauvoir (on ne nait pas homme, on le devient… par l’église interhumaine)… Proche sûrement, par une étonnante anticipation, de celle du dernier Foucault californien : Gombrowicz pourrait bien être, avant la lettre, le grand écrivain queer, autrement dit, là comme ailleurs, l’écrivain d’une impossible identité à soi, fût-elle négative et subversive[12].
Cela dit, ces contresens littéralement déblayés… je crois qu’il faut en un tout autre sens nommer une « homosexualité » de Gombrowicz fondamentale, philosophique, comme requise par l’athéisme — à laquelle peut introduire le véritable Contre les femmes, symétrique du Contre les Poètes ultérieur, qu’on peut lire dans le Journal en 1954 : « […] à vrai dire je n’ai pas su découvrir ce jour ce que la femme représente pour moi dans l’ordre spirituel… Et cela signifie que la moitié de l’humanité m’échappe […]. Ma colère contre les femmes ne diffère pas de celle qui me fait attaquer un poème qui minaude, un roman qui fait le beau — et tout art médiocre[13] ». Également, dans Pérégrinations argentines, le récit d’un double concours de poésie et de beauté… Homosexualité philosophique ou « misogynie » métaphysique (telle qu’elle parcourt la littérature française, par exemple de Baudelaire à Sollers via les célibataires fin de siècle…) qui parachève la mort de Dieu, et participe de l’utopie de la filistrie[14]. Avec un peu de mauvaise foi, on pourrait extraire de l’œuvre de Gombrowicz, « ennemi ironique du genre féminin » (Sabato), une copieuse anthologie de celle-ci, qui irait de la reine d’ Yvonne au portrait de Ginette (Cosmos, chapitre VII), via la description du bovarysme des femmes polonaises quand il parle de Boy[15], Virginité ou Zuta l’androgyne…
Athéisme, dis-je : la femme est un poème « cousu de grossesse et de langes », prisonnière de la Forme et refusant son Immaturité, trop enclose en Immaturité pour conquérir une forme, inapte au jeu avec les masques. Elle est donc répudiée pour ces deux raisons : elle réintroduit Dieu par la croyance amoureuse, elle réintroduit du vertical par la procréation. Elle est toujours trop l’avenir de l’homme, il y a toujours trop d’« éternel féminin »… La société des garçons, des adolescents est plus horizontale, elle colle mieux à Feuerbach et la pampa. « On a le choix entre les femmes et les jeunes. La femme, je la rejette à cause de l’enfant, autrement dit parce que sa fonction est trop spéciale. Reste la jeunesse. » D’où ces deux doubles du narrateur[16], personnages fondateurs des deux romans d’après-guerre et d’après-Mariage, personnages conceptuels surtout (à la manière de Zarathoustra ou de Joseph K autant que de Pimko, Zuta ou Tintin), que sont Gonzalo et Frédéric : le travesti et le metteur en scène, point de fuite et point de vue de l’érotisme gombrowiczien. La mort de Dieu poussée ses ultimes conséquences dans les corps, ici dans l’utopie d’un seul, là dans le réel convulsif d’une société.
Gonzalo, le point de fuite
En 1944, le tout nouvel immigrant scrute sous pseudonyme argentin « notre drame érotique » dans la presse médicale argentine, il réactive de façon très « grand public » le combat de Virginité ou de Ferdydurke : « ce qui paralyse la femme créole et lui nuit le plus, c’est qu’elle ne veut pas être femme mais fleur ou enfant[17] ». En face, manque un « style masculin », qui saurait jouer avec la virilité… résultat : l’homme finit paradoxalement par 6tre esclave de la femme, elle-même esclave de la Forme. Contre cet « érotisme », pris qui plus est dans les filets familiaux, Gombrowicz plaide pour l’érotisme comme énergie sociale qui « tel un pont invisible réunit à chaque instant tous les fils et toutes les filles de la nation ». Et conclut : il est urgent de créer un « ministère des affaires érotiques ». On retrouve ces préoccupations dans le Journal et les Pérégrinations argentines. Mais j’insiste : jamais l’Argentine ne fut le problème de Gombrowicz, il faut la comprendre comme la projection d’un espace intérieur (« Cet endroit de moi-même, environné de nuit, que j’avais appelé le « Retiro » »), une étape dans le devenir-monde de la Pologne. On peut dénicher dans l’œuvre les points de vue, les appréciations les plus contradictoires sur les corps argentins : telles les pages de 1954 où il donne ce que j’ai appelé sa définition « feuerbachienne » des Argentins à la « beauté entièrement laïque, dépouillée de la grâce[18] ». Ou toutes celles où il fait l’éloge du métissage argentin et des formes qui en résultent. Le pays à l’envers est d’autant plus imaginairement utopique qu’on peut le fantasmer comme le pays parfaitement mélangé[19]… Au même moment — la guerre, la traduction de Ferdydurke avec ses jeunes amis —–, le futur auteur de Trans-Atlantique vit l’expérience du Retiro : « le groupe que je connus alors se composait d’hommes aimant les hommes beaucoup plus que ne peut le faire n’importe quelle femme : putos au comble de l’effervescence, pris de fringale démente, livrés à une course poursuite inlassable, garçons « déchirés par les garçons comme par les chiens » exactement comme le Gonzalo de mon Trans-Atlantique[20] ».
Le puto Gonzalo est véritablement le point de fuite de l’érotisme gombrowiczien : c’est qu’il mélange non seulement les origines comme chaque Argentin (« un métis né en Libye, père portugais, mère persano-turque »), mais les sexes (« ces lèvres qui, masculines, saignaient cependant d’un rouge féminin »), mais encore les classes (« moi qui possède un palais, je joue le rôle de mon propre valet de chambre »), mais aussi dans ce palais les objets et les œuvres. Intégralement queer… D’une façon qu’on pourrait dire, au choix, proche des cabinets de curiosités qui précédèrent les musées d’aujourd’hui, ou très postmoderne : « Plafonds, Parquets, Stucs et Boiseries, Alcôves, Colonnes, Tableaux, Statues et aussi des Angelots, Lutrins, Pilastres, Gobelins, et Tapis et partout des Palmes, Vases d’Argent filigrané, de cristal, de jaspe, Patères, Marqueteries sur palissandre, Cuirs repoussés vénitiens ou florentins, plats en Vermeil. Et toutes ces choses pressées l’une contre l’autre, en grappes si compactes que c’est à vous donner le tournis : un Angelot jouxtant une Chimère, une Madone dans un fauteuil, un Vase sur un Brocart, un objet sous la table, un autre derrière une amphore, une Colonne, Dieu sait pourquoi et à quoi ça rime, et à côté un Bouclier ou peut-être un Plateau. » Et, last but not least, ce métissage au cube trouve son correspondant dans le véritable zoo qui peuple ce palais des merveilles[21]…
Frédéric, le point de vue
« Dieu sait pourquoi et quoi ça rime »… De ce métissage, de cet érotisme, Frédéric va, dans La Pornographie, donner une tout autre version. Là où Gonzalo, tel Des Esseintes, unifie le disparate en lui et autour de lui, Frédéric, Pierre Ménard du sexe, décèle dans les corps et les vies les lignes de ressemblance, tente de plier les convulsions du monde. Cosmos n’est pas loin, où c’est tout le réel qui s’organisera, se redistribuera, se métissera sous l’œil du narrateur-enquêteur. « Toute mon œuvre artistique, mes romans autant que mes contes, c’est du théâtre. Dans presque chacun de ces ouvrages, on trouvera un régisseur qui organise l’action ; et mes personnages ont des masques[22]. » Apres l’acteur absolu Gonzalo, Frédéric ex-acteur[23] figure le metteur en scène intégral (« il ne faisait que « se comporter » , il « se comportait » sans cesse[24] »), le masque permanent qui échappe donc au risque de la gueule, après le posthumain, queer Gonzalo, une sorte de grand seigneur méchant homme surhumain qui va dompter la réalité… véritable surmoi gombrowiczien, qui a pu vaincre sa pathologie, réaliser le dosage idéal de forme et d’immaturité, le seul d’ailleurs de toute l’œuvre (« Je suis un antifou », écrit ce cartésien dont le je est intégralement jeu). Impossible en passant d’attribuer au hasard qu’il porte le prénom de Nietzsche et que Versailles et Venise soient ses patries revendiquées[25]
Le lecteur conviendra qu’il est à peu près impossible de résumer un livre d’une telle complexité, qui s’ouvre, je le rappelle, par l’effondrement pascalien d’une église… sinon comme la progression de tableau vivant en tableau vivant, de la mise en scène par le « monarque », « maitre du cérémonial », de la matière vivante d’une demeure de la région de Sandomir (autofiction encore et toujours : La Pornographie se déroule entre Bodzechow et Ostrowiec dans la région d’enfance de l’auteur), elle-même en équilibre instable sur la matière vivante de la guerre (civile autant qu’étrangère)… « Faites comme si vous étiez plongé jusqu’au cou dans la lutte nationale, dans l’action de I’AK, dans le dilemme Pologne-Allemagne, comme s’il ne s’agissait que de cela… quand en fait, il ne s’agit que de faire en sorte que : HÉNIA AVEC KAROL[26]. » En effet, sur les ruines de Dieu, ce sont les nuques de ces jeunes gens (qui n’en savent rien, qui ne sont pas promis l’un l’autre) qui sont littéralement apparues à Frédéric et au narrateur comme devant se conjoindre. Ce qui va se faire en deux grandes étapes (les deux parties du roman) que symbolisent et suturent deux morts eux-mêmes points d’orgue de séries d’événements : Amélie la mère (la Pologne d’avant-guerre, de Pimko ? ) agonise en un duel qui la met face à Frédéric, lequel met littéralement le « crucifix au chômage » : la scène de l’effondrement de l’église se répète (chapitre VII)[27], et Frédéric devient Dieu ; Siemian, un chef de la Résistance (la Pologne future, de Zuta ou de Tintin ?), est sacrifié sur l’autel des symétries infernales du désir manipulé par Frédéric…
Si le voyeurisme est une constante de l’univers gombrowiczien (du roi regardant la reine à la dérobée dans Yvonne aux jumelles de Witold à Vence, via l’observation de Zuta par Jojo…), de sa pathologie, autant du théâtre, il atteint ici sa justification métaphysique. Si Dieu a disparu, il faut être trois pour faire deux : le voyeurisme est l’agent du « faire corps », Karol et Hénia ne peuvent être que pour autrui comme le danseur pour Maitre Kraykowski (« ils cessaient d’être innocents dès qu’un troisième acteur entrait en scène »)[28]. Autrui qui les fait relever leur pantalon ou ensemble écraser un ver de terre… ou tuer. Autrui qui voit… et qui lui-même est regardé. Car tel semble être le tour de passe-passe de fond de La pornographie, la conversion dont Frédéric est l’agent, l’opérateur logique. « Vous voulez savoir quel est mon plan ? écrit-il au narrateur dans la lettre déjà citée et qui est peut-être le cœur du livre. Je n’en ai pas. Je suis les lignes de force, vous comprenez ? Les lignes du désir[29]. » Désir qui chemine en secret entre les deux adolescents — sous l’aîné inventant le cadet, « le Cadet créant l’Aîné » (préface), dont la Jeunesse peut être le nom. « Passer le monde au crible de la jeunesse ; le traduire en langage de jeunesse, c’est-à-dire d’attirance. Fléchir le monde par la jeunesse… l’assaisonner de jeunesse afin qu’il se laisse violer[30] ». Désir qui irrigue le monde entier, loi des « affinités électives » qui lui donne sa géographie, et dont la société, la nation, les corps ne sont que des fragments, comme nous l’indiquait à sa façon qui était à lui seul un cosmos en réduction, comme nous le démontrera Cosmos, les espaces infinis sur quelques arpents de terre de Zakopane…
Polonais, encore un effort…
« On connait l’histoire du Discours de la méthode, traduit par Boy-Zelenski et publié pendant la Première Guerre à Cracovie. Boy mit sur le volume un bandeau de vente « réservé aux adultes », et le tirage fut vite épuisé. » Il faut sûrement rappeler cette anecdote trouvée chez le peintre et écrivain Joseph Czapski[31] pour prendre toute la mesure de La Pornographie (après Trans-Atlantique). Ou feuilleter Les enfers domaine polonais, un volume naguère publié dans la collection du même nom par Jean-Jacques Pauvert. Ou un album, n’importe lequel, de reproductions de peinture polonaise. « Et si La Pornographie, dit dans la préface celui qui dans les années quarante proposait un « ministère des affaires érotiques » argentin, était une tentative pour renouveler l’érotisme polonais ? … Une tentative pour retrouver un érotisme qui correspondrait davantage à notre sort et à notre histoire récente — faite de viols, d’esclavage, de luttes de chiots —, une descente vers les obscurs confins de la conscience et du corps ? » Le « char à banc vieillot » du « roman de province » donne à l’auteur l’équivalent des trois tentations nationales qui écartelaient le corps « social » de Jojo dans l’enceinte d’un lycée varsovien : un microcosme contraint (par « ces Allemands inévitables, écrasants une absence toutefois […] sensible — il n’y avait plus de Juifs[32] ») où les habitants d’un domaine sont en sus de leurs divisions propres traversés par le morcellement des corps social (les classes) et national (les différentes armées de la Résistance) comme de celui du pays lui-même. D’une façon fort bien décrite en son temps, avant même les partages de la Pologne, par Jean-Jacques Rousseau cité plus haut. Un chaos où lignes de front, « lignes du désir » et tracé des balles perdues se confondent[33]. D’où le pays d’ailleurs ressortira déplacé et offert à une nouvelle domination.
Aux antipodes, en revanche, de tout « rousseauisme », même si la question de Gombrowicz, le « faire corps », est toujours celle du contrat social (la fraternisation de tous ou de deux mais sur fond de « complot des corps »). La Pornographie nous montre plutôt le corps de Rabelais dans les situations de Sade, et avec une philosophie cousine de l’athéisme du divin marquis : « la colimba (le service militaire), c’est le lieu où se perpètrent les deux types de viols sur lesquels repose l’édifice social le viol du moins instruit par le plus instruit, et le viol du cadet par l’ainé[34] ». De quel corps est fait le corps pris dans la lutte ? Quelles lignes le traversent ? Le chapitre VIII du roman, qui radiographie Siemian le héros, son « masque » romantique et ce qu’il cache, est en ce sens bien plus sacrilège pour les mythologies polonaises que la messe effondrée du début : « fraternité froide comme glace, chacun servant d’instrument à chacun, chacun pouvant utiliser impitoyablement chacun pour la cause commune union dans la décomposition ». Quelle différence avec l’inconscient fasciste ? Siemian ou l’envers meurtrier de la Jeunesse qu’invente Frédéric avec Karol et Hénia… Un envers dont à son tour il meurt… moins ici que dans Trans-Atlantique Gombrowicz ne prête son concours la reconstruction de la nation, l’avenir radieux socialiste. La société est fondée sur un crime commis en commun, disait Freud. Renouveler l’érotisme polonais, ce peut être aussi appuyer là où ça fait mal…
Le gros orteil
Freud ? Mieux que Freud, prétendait Bruno Schulz, souvenez-vous, à la parution de Ferdydurke. J’insistais, après Kot Jelenski, au départ de ce livre, sur le rôle nodal des cinquante pages réunies par lui en 1977 sous le titre L’histoire. Elles sont légèrement antérieures (1951) à la genèse de La Pornographie (1955-1958). Tous les corps sociaux, famille, nation, concert des nations, Hitler, Staline, s’y révèlent, s’y décomposent sous le regard du pied nu de Witold exhibé lors d’un examen de maturité. « Le champion de l’Immaturité, le gros Orteil ! »… qui dissout toutes les bottes, bottes de cuir, bottes mentales. Introduire ne serait-ce que l’ombre d’un gros orteil dans un bunker, pour parodier Michel Leiris, cela pourrait définir autrement l’enjeu de l’« érotisme » chez Gombrowicz, sa non-autonomie absolue (pas de coït…) Dans une présentation retirée des Mémoires du temps de l’immaturité, on pouvait lire en 1933 donc : « Pour ce qui concerne en particulier l’élément sexuel, la place qui lui est accordée résulte de l’esprit du temps qui, hélas, souligne de plus en plus l’interaction de la sphère sexuelle et de la sphère spirituelle : la prépondérance de la cruauté et de la répulsion, surtout, résulte à mon avis, de ce que leur rôle dans la vie dépasse nos rêves les plus audacieux. Je songe cet égard à Hitler[35]. »
Peu après, il déclare : « Nous vivons un temps de réformes violentes et d’évolution accélérée, une époque où des formes jusqu’à présent stables et définies sont en train d’éclater sous la pression du quotidien tout le bouleversement de la hiérarchie qui naguère encore régissait l’individu autant que la collectivité fait qu’un sombre océan d’éléments immatures et sauvages nous oppresse avec une force accrue et, en nous refoulant vers une sorte d' »adolescence récurrente », il nous oblige une violente révision de notre comportement tout entier[36]. » J’insistais plus haut sur les « aïeux » de Gombrowicz depuis la mort de Dieu et son inégal développement en France, en Russie, en Allemagne, en Pologne. Je nommais Émile Durkheim (la société c’est Dieu) qui « donne » aussi bien Jean-Paul Sartre que Georges Bataille, élève de son neveu Marcel Mauss, aujourd’hui Pierre Bourdieu. Il est certain, pour finir, qu’avec La Pornographie et sa pensée de l’« érotisme » culmine une parenté essentielle, qu’on ne peut que signaler au passage, entre Witold et les fondateurs du Collège de sociologie (Bataille, Caillois, Leiris) qui « fomentaient de remplacer les théories du contrat social par une technique des contractions collectives, une sorte d’art de la crampe à l’usage des kinésithérapeutes du corps social[37] ». En 1937, année de Ferdydurke.
Attention : rien de plus étranger à Gombrowicz qu’une pensée de l’érotisme « approbation de la vie jusque dans la mort ». Ou le catholicisme inversé, qui donne à l’œuvre de Georges Bataille sa si singulière ambiance de sacristie — comme le « mal » d’ailleurs : « Nous faisons le mal non parce que nous avons anéanti Dieu et même Satan perdent toute importance dès l’instant que c’est un autre homme, notre prochain qui devient sanction de l’acte commis[38]. » En revanche, la conférence inaugurale du Collège, La Sociologie sacrée et les rapports entre « société », « organisme », « être » porte les mêmes interrogations que le roman. Et très peu de temps après, des livres comme Le bleu du ciel ou L’âge d’homme agiteront à l’autre bout de l’Europe les questions de la Forme et de l’Immaturité, à l’articulation d’une biopsychologie et d’une politique qui reste pour l’essentiel étrangère au freudisme orthodoxe (si elle est l’affaire de Wilhelm Reich[39]… avant de redevenir, après 1968, celle de Deleuze et Guattari, bons lecteurs de Gombrowicz). Sur quel corps, sur quel terreau d’Immaturité le fascisme se « forme »-t-il, comment se faire un corps non fasciste ? A tel point qu’on pourrait parodier, à propos de Gombrowicz, la formule de Michel Foucault sur L’anti-Œdipe : lire Gombrowicz comme une « introduction à la vie non fasciste ».
Notes
[1] « Qui est Gombrowicz ? », L’Herne Gombrowicz, p. 143. Arthur Sandauer, dans Les Temps modernes : « Depuis le temps de Rej sous la Renaissance, aucun rayon intellectuel n’est venu effleurer notre érotisme qui demeure imperturbablement normal et, par là même, fort peu spiritualisé. »
[2] La Pornographie, p. 26.
[3] Ce qui ne veut pas dire freudien…
[4] Pour d’autres raisons, chaque fois différentes, on pourrait rêver à ce que des cinéastes comme Buñuel ou Cronenberg auraient fait, pourraient faire, de Gombrowicz — au-delà de la problématique ordinaire de 1’« adaptation » (qui fut celle de Skolimowski avec Ferdydurke par exemple). J’ai d’autre part déjà insisté sur la très profonde analogie entre l’usage des formes préexistantes chez Godard et chez Witold. A l’inverse, aucune fraternité thématique : Godard croit encore à la beauté et à la forme du corps. Je ne fais cependant ici pas par hasard référence au cinéma. C’est peut-être Michel Foucault, parlant de ce que des corps fait le cinéma contemporain en général et Werner Schroeter (La mort de Maria Malibran) en particulier, qui a donné la plus juste approximation de ce qui se joue de plus en plus (apogée de Cosmos) chez Gombrowicz : la rencontre des corps et de la caméra fait que « le corps se dés-organise, devient un paysage, une caravane, une tempête, une montagne de sable, etc. », rebours d’un sadisme « anatomiquement sage » (Dits et écrits, t. 2, p. 818 sq. ; cf. aussi t. 4, p. 251 sq). Dans la même ligne (de désir, de fuite), on peut ici noter la très profonde contemporanéité entre cette œuvre et un pan immense de l’art contemporain pour qui le corps est tout sauf naturel, beau, authentique, etc., et constitue un terrain d’expérimentation : de John Coplans, Cindy Sherman, Bruce Nauman, Robert Gober Jana Sterback, les Chapman…
[5] Journal, Folio, t. 2, p. 144.
[6] « Rarement il avait été écrit un roman, non pas dont la conscience fût si claire — ils sont nombreux et quel intérêt ? — mais dont la clarté fat si consciente. Rarement et peut-être pas depuis Les Affinités électives de Goethe […]. Les personnages se posent les uns aux autres deux genres de questions Croyez-vous en Dieu ? » et » Pourquoi donc ne couchez-vous pas avec lui (ou elle) ? L’intérêt de telles questions réside en ce qu’ils ne se posent jamais l’une que pour l’autre — pour ne pas poser l’autre, disait Gombrowicz », note très justement François Regnault (« Optique de Gombrowicz », Cahiers marxistes-léninistes, no 8, janvier 1966). Voir par exemple cette remarque, ibid., p. 82 : « Je devais lui demander Tu vas à l’église ? » Au lieu de cela, je demandai : » Tu vas voir les femmes ? » » On peut ici citer Michel Foucault à propos de Bataille : « Ce qu’à partir de la sexualité peut dire un langage s’il est rigoureux, ce n’est pas le secret naturel de l’homme, ce n’est pas sa calme vérité anthropologique, c’est qu’il est sans Dieu ; la parole que nous avons donnée à la sexualité est contemporaine par le temps et la structure de celle par laquelle nous nous sommes annoncé nous-mêmes que Dieu était mort » (Dits et écrits, op. cit., t. 1, p. 234). Ceci dit, on peut difficilement acquiescer au point de vue de Pascal Bonitzer qui bataillise Gombrowicz (Gombrowicz vingt ans après). Celui-ci est sûrement plus sadien que bataillien.
[7] Ce titre lui coûtera un grand prix littéraire ; voir Journal, op. cit., p. 482.
[8] Journal, op. cit., t. 1, 1955. A Gomez, il écrit le 21 juillet 1963 : « Il faut que vous sachiez que je ne suis pas un homosexuel ; même si de temps en temps, quand l’envie m’en prend, je me risque sur ce terrain. Je suis quelqu’un de très simple. En matière d’érotisme, le peuple est mon maître absolu, et le peuple, heureusement, ne sait rien de cette terrible homosexualité, il couche avec qui il peut et comme il peut. » Voir aussi l’étonnante page de Testament, Folio, p. 146, sur l’homosexualité « millénaire » ou il définit une femme comme un « garçon autorisé »…
[9] Voir Description de descriptions. Pour l’anecdote, on peut rappeler qu’en Pologne, c’est au vieil ami d’avant-guerre Arthur Sandauer que revient l’exploration, un peu stalinienne, des « perversions sexuelles » de l’auteur de Ferdydurke. Witold lui répond en 1966. Voir Journal, op. cit., t. 2, p. 489 sq. En France, c’est le journaliste et écrivain Michel Mohrt qui fera sur le sujet les frais (mérités) de l’ironie gombrowiczienne. Mohrt qui écrit lors de l’attribution à Gombrowicz du Prix international de littérature en 1967 : « Il y a dans l’œuvre de cet écrivain un secret, je voudrais bien le connaitre, peut-être s’agit-il d’un homosexuel ou d’un impuissant, d’un onaniste peut-être, quoi qu’il en soit il y a en lui quelque chose du bâtard et je ne serais pas étonné qu’il s’adonne en cachette des orgies dans le style du roi Ubu, »
[10] Voir Journal, op. cit., p. 376 sq. (« Genet ! Genet ! Mais imaginez seulement ma honte, avec ce pédéraste accroché à mes basques, ne me quittant plus… »).
[11] « Émigrés l’un et l’autre, Gombrowicz et Virgilio Pineral devinrent amis et aussi copains de racolage et d’aventures érotiques » (Reinaldo Arenas, Avant la nuit, Stock éd., p. 136 — je cite ici la traduction française d’un original espagnol beaucoup plus direct, provocant et invérifiable (dans une perspective naïvement biographique, elle-même dénuée d’intérêt). De Reinaldo Arenas, on peut lire également le dernier livre, La couleur de l’été, roman picaresque et filistrique, dont l’un des fils est le portrait de Virgilio Pinera.
[12] Michel Foucault, dans Dits et écrits, op. cit., t. 4 : « Être gay c’est être en devenir 1…1, se placer dans une dimension où les choix sexuels que l’on fait sont présents et ont leur effet sur l’ensemble de notre vie. »
[13] Journal, op. cit., t. 1, p. 255 sq.
[14] Sur l’ancrage de tout ceci dans sa « pathologie », lire dans le Journal, en 1955 : « Je noterai ici que jamais (à part quelques aventures sporadiques dans mon très jeune âge) je n’ai été homosexuel. Je ne suis pas peut-être à la hauteur de la femme, je veux dire à la hauteur sur le plan du sentiment : il y a en effet en moi une sorte de blocage qui empêche le sentiment, comme si j’en avais peur… et pourtant la femme, en particulier un certain genre de femme, m’attire et m’enchaine » (ibid., p. 288). Ou dans Testament : « J’étais tout à fait incapable d’aimer. L’amour m’a été refusé une fois pour toutes, dès le départ, mais parce que je n’ai pas su lui trouver une forme, une expression propres, ou bien parce que je ne l’avais pas en moi ? Je l’ignore. »
[15] Souvenirs de Pologne, p. 198 sq.
[16] « Quel admirable système de miroirs : il se réfléchissait en moi, moi en lui et ainsi, tissant chacun des rêves pour le compte de l’autre, nous en arrivions formuler des intentions qu’aucun de nous n’aurait osé reconnaitre pour siennes » (La Pornographie, op. cit., p. 91). Le double — le dédoublement entre un je autofictif et un moi idéal — ou la plus petite église interhumaine possible ? Voir aussi ce qu’écrit Frédéric p. 149 : « A deux, il y a une garantie et une garantie objective. A deux, il n’y a plus de folie […]. »
[17] La femme latino-américaine n’est à vrai dire qu’un mauvais décalque de la « femme de Paris », ici louée, plus tard décriée (voir Journal, op. cit., t. 2, p, 349 sq.).
[18] Journal, op. cit., t. 1, p. 158-159. Voir aussi la page sur les graffitis de pissotière dans les Pérégrinations, vers 1960 (« L’innocence d’un gosse dévergondé, tel pourrait être le titre d’une introduction à la psychanalyse de tout le continent ») (Pérégrinations argentines, Bourgois éd.). Il s’adresse alors aux Polonais qu’il désire secouer ; ou ibid., le chapitre intitulé « Femmes sur la plage », p. 159 sq.
[19] Pérégrinations argentines, ibid., p. 30. Au carrefour de ces réflexions et de celles qui précèdent sur le corps morcelé qui est la grande constante witoldienne, voir le très étrange premier chapitre des Pérégrinations, « Les Polonais en Argentine », où Gombrowicz oppose le résultat harmonieux du métissage argentin et le caractère désordonné, archimboldesque, de son équivalent polonais : « Ainsi peut-on définir l’impression que fait naitre en Argentine un corps de Polonais par un seul terme : diversité. Diversité, peut-être même désordre » (ibid.).
[20] Journal, op. cit., t. 1, p. 310 sq.
[21] Trans-Atlantique, Folio, p. 163. Le chapitre X, qui décrit le palais de Gonzalo, évoque un mixte d’A rebours et Locus solus, et/ou la demeure de Pierre Loti qu’on peut encore visiter à Rochefort. Ou encore l’étonnante galerie du palais de Lancut en Pologne. Ou encore cette taxinomie chinoise à demi inventée par Borges et reprise par Michel Foucault en ouverture des Mots et les choses.
[22] Testament, op. cit., p. 212.
[23] Sa pensée du théâtre est exposée ainsi au narrateur : « Il fallait commencer par les acteurs en « les combinant » d’une manière ou de l’autre, et bâtir la pièce à partir de ces combinaisons successives » (La Pornographie, op. cit., p. 147).
[24] Ibid., p. 20-21, il est question de son « jeu sempiternel » ; p. 22, on peut lire : « Frédéric, cassé en deux par un corps opulent de bonne femme, un pied d’enfant lui rentrant dans le menton, bien que souffrant atrocement dans sa dignité, était aussi correct et bien élevé que d’habitude. »
[25] Ibid., p. 66-67.
[26] Ibid., p. 170.
[27] « On n’attaquait pas sa foi — elle n’avait pas besoin de la défendre — mais son Dieu devenait inutile, confronté cet athéisme qui n’était qu’un masque, et elle se sentait esseulée, privée de Dieu, réduite à elle-même face à cette existence insaisissable, fondée sur quelque principe inconnu », « il n’en devint pas moins, lui non le Christ, juge suprême et Dieu, car c’était pour lui qu’elle agonisait » (ibid.).
[28] On pourrait aussi de nouveau voir en Gombrowicz — je reviens ce que je disais de Ferdydurke — un bon exemple du désir mimétique selon René Girard : « Qui peut savoir si un homme est capable de tomber amoureux d’une femme sans la médiation d’un autre homme ? Il est possible qu’un homme soit capable de sentir une femme qu’à travers un autre homme. Peut-être est-ce là une forme nouvelle de l’amour. Autrefois le couple comprenait deux êtres ; en comprendrait-il trois, aujourd’hui ? » s’interroge Henri (Le Mariage, acte Ill).
[29] La Pornographie, op. cit., p. 150.
[30] Journal, op. cit., t. 1.
[31] Tumultes et spectres.
[32] La pornographie, op. cit., p. 69 et 84.
[33] Il n’est pas interdit d’imaginer par ailleurs que l’exilé a utilisé là, outre la « littérature de guerre » abondante en polonais (voir dans L’Herne, p. 314, l’étude de David Brodski sur Gombrowicz et Andrejewski : Cendres et diamant), ses Souvenirs de Pologne personnels de la Première Guerre mondiale.
[34] Journal, op. cit., t. 2, p. 111. Sade, Idées sur les romans (1800) : « L’homme est sujet deux faiblesses qui tiennent à son existence, qui la caractérisent. Partout il faut qu’il prie, partout il faut qu’il aime, et voilà la base de tous les romans. » Sur le côté « grand seigneur méchant homme » de Witold, lire le témoignage d’Alejandro Russovitch dans Gombrowicz en Argentine, de Rita Gombrowicz, Denoël, p. 147-148.
[35] Explication sommaire, in Varia Il, Christian Bourgois Éditeur, p. 55.
[36] Pour éviter les malentendus en marge de Ferdydurke, 1937, ibid. Lire aussi l’étonnante analyse d’Hitler, en 1958, dans le Journal, op. cit., t. 1, p. 601-606 — Gombrowicz est en train d’achever La pornographie.
[37] Denis Hollier, Le Collège de sociologie, Gallimard, Folio Essais, p. 12.
[38] Journal, op. cit., t. 1, p. 98-104. Lecteur de L’homme révolté, Gombrowicz se confronte à un autre enfant, bien plus timide, de la mort de Dieu, Albert Camus et sa philosophie de l’absurde.
[39] Sa « psychologie de masse du fascisme », sa théorie de la cuirasse caractérielle est une autre façon de penser les instabilités de la forme dont le fascisme, avec son sacré de pacotille, va tirer parti. On Pourrait également citer ici l’œuvre d’Elias Canetti, elle aussi profondément contemporaine de celle de Gombrowicz (et qui aboutira à Masse et Puissance en 1960).